Usine Farman
à Toussus-Le-Noble.
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J'ai
été voir les copains dans une usine où j'ai
travaillé il y a quelques mois. J'ai passé une
heure ou deux avec eux. Joie de pénétrer dans l'usine
avec l'autorisation souriante d'un ouvrier qui garde la porte.
Joie de trouver tant de sourire, tant de paroles d'accueil fraternel.
Joie d'entendre, au lieu du fracas impitoyable des machines,
de la musique, des chants et des rires. On se promène
parmi ces machines auxquelles on a donné pendant tant
et tant d'heures le meilleur de sa substance vitale, et elles
se taisent, elles ne coupent plus les doigts, elles ne font plus
mal. Joie de passer devant les chefs la tête haute. Bien
sûr, cette vie si dure recommencera dans quelques jours.
Mais on n'y pense pas. Et puis, quoi qu'il arrive, on aura toujours
eu ça. Pour la première fois et pour toujours,
il flottera autour de ces lourdes machines d'autres souvenirs
que le silence, la contrainte, la soumission.
D'après Simone Weil, "Visite à un atelier
parisien", article paru dans La Révolution prolétarienne,
10 juin 1936. |
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