DEUX PAYS FACE A LA CRISE : LA FRANCE

Les grèves de 1936
 
On a arrêté les machines et défilé vers le centre de Wintzenheim. Je suis montée sur l'escalier de la Mairie pour rassembler mes collègues. Un beau jeune homme, bien habillé, le chef des « Rouges », m'a dit : 
- Viens, il ne faut pas rester ici. Tu seras mieux là-bas. 
Il m'a prise dans ses bras et m'a soulevée sur la fontaine du village. De là, je dominais la foule des ouvriers, hommes et femmes, et je leur ai parlé. Je leur ai dit : 
- On va organiser une réunion !
Ils m'ont applaudie.
Le soir, un voisin a rencontré mon père au bistrot et lui a dit :
- Ta fille sait bien parler. Je l'ai vue, debout sur la fontaine...
Mon père est devenu tout blanc. Il s'est levé, et est rentré à la maison sans vider son verre. Le soir, il m'a foutu une sacrée raclée.
(Source : Guy Frank - Wintzenheim - Entretien du 24 mars 2002 avec Rosalie BOURGUIGNON, 98 ans)  


Occupation de l'usine.

 

Usine Farman à Toussus-Le-Noble.
 
J'ai été voir les copains dans une usine où j'ai travaillé il y a quelques mois. J'ai passé une heure ou deux avec eux. Joie de pénétrer dans l'usine avec l'autorisation souriante d'un ouvrier qui garde la porte. Joie de trouver tant de sourire, tant de paroles d'accueil fraternel. Joie d'entendre, au lieu du fracas impitoyable des machines, de la musique, des chants et des rires. On se promène parmi ces machines auxquelles on a donné pendant tant et tant d'heures le meilleur de sa substance vitale, et elles se taisent, elles ne coupent plus les doigts, elles ne font plus mal. Joie de passer devant les chefs la tête haute. Bien sûr, cette vie si dure recommencera dans quelques jours. Mais on n'y pense pas. Et puis, quoi qu'il arrive, on aura toujours eu ça. Pour la première fois et pour toujours, il flottera autour de ces lourdes machines d'autres souvenirs que le silence, la contrainte, la soumission.
D'après Simone Weil, "Visite à un atelier parisien", article paru dans La Révolution prolétarienne, 10 juin 1936.

 
On danse dans la cour, puis on organise les nuits d'occupation.
 
Usine Renault à Boulogne-Billancourt, le 28 mai 1936.
   
Daniel Meyer, journaliste au quotidien socialiste Le Populaire, décrit la situation au 26 mai 1936 :
Nous habitions à ce moment là une toute petite rue dans le 20e arrondissement. Il y avait dans la cour de notre immeuble une entreprise très artisanale comprenant cinq ou six ouvriers seulement, fabriquant des batteurs à mayonnaise. Des ouvriers sont venus nous demander, à ma femme et à moi : "Naturellement, nous allons arrêter le travail comme partout. Est-ce que vous pourriez nous aider à rédiger un cahier de revendications ? Qu'est-ce que nous devons demander au patron ?
Cité par J.M. Gaillard, Les 40 jours de Blum, 2001
 
Il ne manque pas un boulon chez Renault
Pas une pompe à vélo chez Peugeot
Pas un jambon chez Olida
Et l'on raconte même qu'aux Galeries Lafayette
Une vendeuse du rayon des layettes
a trouvé par terre une épingle
de sûreté et qu'elle l'a rapporté au rayon mercerie !!!
Sketch de Jacques Prévert représenté devant les grévistes.
Cité dans G.Leroy et A.Roche, Les écrivains et le Front populaire, NSP, 1986.
 
 
Des ouvriers en grève occupent les usines
 
 Le ravitaillement des ouvriers qui occupent l'usine.